Ankrow
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Chapitre 3
Une vieille ferme austère


     Une bonne semaine s'était écoulée depuis la réouverture d'Ankrow, alors qu'une voiturette bleue roulait sur un chemin de campagne. Elle voyageait en direction d'un village perdu en pleine cambrousse située entre deux communes qui ne comptaient pas plus de trois-cents habitants chacune. Le véhicule roulait prudemment à destination d'une ferme appartenant à la famille Tesson qui avait été construite deux siècles plus tôt dans un style champêtre, avec des murs en pierre de taille, une grande dépendance rattachée au corps principal du bâtiment et une toiture faite de tuiles orange. La façade était également recouverte d'une épaisse vigne vierge qui envahissait le mur grâce à ses feuilles étoilées, et était décorée par de jolis volets bleus et quelques rosiers. Le lieu paraissait chaleureux, voire très plaisant de l'extérieur, enfin, à première vue. D'autant plus que la demeure était bien située, et possédait en plus d'un vignoble, un somptueux jardin avec une abondante végétation verdoyante des pays chauds, des peupliers et des parterres fleuris. Le temps radieux quant à lui, se prêtait à cette atmosphère déjà bien accueillante.
​​     
— Papa, c'est elle la fille qui attrape les monstres ?! demanda une petite fille aux couettes blondes et aux yeux globuleux qui se trouvait assise sur le siège arrière.
​     Elle était la plus jeune de sa fratrie derrière un visage lunaire, et avait pas moins de douze ans, et fixait avec grand intérêt la jeune fille assise entre elle et son frère, la tête cachée sous son ciré jaune.
​     — Oui Adelina, c'est elle, dit le père dans un sourire bienveillant. Elle s'appelle Charlotte, elle a fait le voyage depuis Port Lady-Victoria et va faire fuir les mauvais esprits qui ont rendu votre mère malade.
Monsieur Tesson était un homme ordinaire à l'apparence massive, aux courts cheveux bruns, habillé d'une chemise à manches courtes qui lui permettait de lutter contre les chaleurs qui assommaient son domaine. Charlotte ne savait pas grand-chose de lui ni de sa famille, mais elle ne les sentait pas particulièrement anxieux devant les ennuis qu'ils vivaient dans leur logement. Ils semblaient au contraire plutôt détendus et ravis d'avoir une invitée parmi eux.
​     De l'autre côté de notre jeune fille sur le siège arrière, la sœur aînée de la fratrie et son cadet jetaient des regards dédaigneux vers les immenses plants de vigne aux grappes rouges qui bordaient la maison. Ils ne semblaient pas enchantés d'être ici, et se tenaient entassés les uns sur les autres pour se serrer à l'arrière, ce qui dérangeait profondément Charlotte qui n'aimait pas qu'on envahisse son espace vital.
​     — C'est la campagne de toute façon, râla le garçon en se tournant vers sa sœur qui pianotait sur son smartphone rose. On n'a presque pas de réseau… ni la fibre, on ferait mieux de quitter ce trou à rats pour rentrer à Romulus ! Pas vrai Tiphaine ?
​     — Oh que oui ! Je ne capte rien du tout ! pleurnicha sa sœur en agitant sa tignasse blonde, continuant de fixer son téléphone avec des yeux de taupe qu'on aurait déterrée en plein après-midi. Je n'arrive pas à me connecter à Instolégram !
​     — Vous devriez être reconnaissants de vivre dans une si belle région, avec l'océan et le soleil à notre porte, les enfants, déblatéra le père qui commençait à faire un cours sur sa région au grand dam de Charlotte qui s'en moquait éperdument et qui n'était pas venue ici pour cela. Tartessos a été fondée il y a deux mille ans par Alexandre le Grand durant son règne, et notre climat maritime est le plus clément pour y faire pousser le vignoble et produire le meilleur vin de notre pays. Ce lieu est tout à fait digne de notre famille et nous avons la chance de vivre dans une somptueuse maison typique de la région.
Les rides de monsieur Tesson dansaient d'une passion débordante pour Tartessos.
​     — C'est ça, marmonna Charlotte pour elle-même en observant les enfants autour d'elle qui soupiraient de désespoir devant le discours du père. Vous avez tellement de chance, que votre maison cherche à supprimer toute votre famille.
La mère se retourna alors, tandis que le père garait la voiture devant l'immense garage aux allures de vieille grange abandonnée, possédant deux portes en bois hautes de trois mètres dont la peinture bleue s'écaillait avec le soleil.
​     — Vous verrez les enfants, nous allons être très bien ici quand Charlotte aura résolu notre problème ! assura le père.
La mère approuva ces sages paroles.
​     — Pourquoi n'iriez-vous pas profiter un peu du jardin pendant que notre invitée inspecte la maison ? Ça serait une bonne idée, non ?
​     Les trois enfants soupirèrent en descendant du véhicule, mais firent ce que leurs parents leur demandaient et partirent vers un très grand portail blanc qui menait vers le jardin.
​     — Ah, les enfants… ria le père en regardant sa progéniture partir un peu plus loin, pour disparaître derrière de grandes plantes verdoyantes. Un jour, ils réaliseront à quel point Tartessos est belle.
​     — Vous habitez ici depuis longtemps ? s'enquit Charlotte en descendant de la voiture avec difficulté.
​     Étant dans un véhicule à trois portes, la jeune fille devait se faufiler en se contorsionnant entre les sièges pour atteindre la sortie. Elle récupéra ensuite son sac à dos noir dans le coffre où le corbeau à deux têtes d'Ankrow avait été brodé, et le mit sur ses épaules.
​     — Nous avons emménagé ici il y a cinq ans, déclara l'homme comme s'il rapportait une histoire incroyable. Et notre cauchemar a commencé aussitôt.
​     ​— Votre cauchemar ? répéta Charlotte. Que vous arrive-t-il exactement ?
​     — C'est la maison, il y a quelque chose de mauvais à l'intérieur, répondit-il en se tournant vers sa demeure où une brise faisait frissonner le feuillage de sa vigne vierge dans une lugubre mélodie. Nous avions emménagé avec la grand-mère de nos enfants, mais elle est tombée gravement malade un matin, et la maladie l'a emportée au bout de quelques semaines. Elle avait gonflé comme une baudruche, croyez-moi, ce n'était vraiment pas beau à voir.
​     — Vous m'en voyez navrée. Mais quel rapport avec la maison ?
​     — Nos deux filles ont commencé à tomber malade elles aussi peu de temps après, à tour de rôle, poursuivit le père de famille d'une voix grave. Elles multiplient les maladies respiratoires, ainsi que des otites alors qu'elles s'étaient toujours portées comme un charme avant. Rien de dramatique en soit, mais le nombre de maladies qui les a frappées est réellement inquiétant.
L'homme se tourna ensuite vers sa femme qui semblait frêle sous ses courts cheveux blonds pour la désigner du doigt.
​     — Et cette fois, c'est ma femme qui n'arrête pas de tomber malade. Et chaque nouvelle maladie qu'elle contracte est de plus en plus grave, elle se remet juste d'une hospitalisation pour une bronchite, et perd beaucoup de cheveux. Vous voyez, moi et mon fiston on n’a jamais rien eu, c'est comme si quelque chose dans la maison n'aimait pas les femmes, et qu'elle leur faisait du mal seulement à elles.
​     — Vous allez pouvoir nous aider, hein ? questionna la mère dans un regard fatigué et rempli d’espérance. Vous allez pouvoir nous débarrasser de ces mauvais esprits ? Car mes filles et moi faisons aussi des cauchemars la nuit.
Charlotte déglutit d'un air un peu mal à l'aise et émit un sourire désolé.
​     — Pour être honnête avec vous, je ne suis pas médium, seulement un collecteur. Je viens pour vous débarrasser d'objets maudits qui apporteraient le mal sur votre maison. Mais… nous allons trouver l'origine de vos malheurs, et je vais l'emmener avec moi.
​     — Nous avons pleinement confiance en vous, dit le père dans un sourire tout en l'invitant à le suivre vers sa demeure.
​     La jeune fille sentit comme un frisson l'envahir en entrant dans la vieille ferme, et observa une toile d'araignée près de l'entrée après avoir passé la porte grinçante aux carreaux vitrés qui se trouvaient être l'unique et faible source de lumière de ce premier couloir.
​     — Je ne comprends pas les gens qui emménagent dans des lieux aussi sordides, marmonna Charlotte d'une voix suffisamment basse pour ne pas être entendue par le couple devant elle, et qui se demandait si le fait de vouloir vivre dans une maison hantée était un genre de fétichisme malsain.
​     — On dirait une prison, pas étonnant que toute la famille tombe malade.
En plus du manque de luminosité, les épais murs blancs et sales de cette ancienne ferme, ainsi que le sol carrelé brun d'une autre époque rendaient ce couloir encore plus oppressant.
​     Ce mur est vraiment crado, se dit-elle en son for intérieur, tout en passant le bout des doigts sur ce qu'elle pensait être de la peinture qui aurait mal vieilli. Mais elle réalisa vite qu'il s'agissait d'épais blocs de pierre semblable à du granit blanc.
​     Quelle horreur. On dirait de l'os, je m'attends presque à voir les murs saigner.
Tout en sentant la chair de poule l'envahir, et écoutant les étages du dessus craquer, la jeune fille jetait des regards intrigués à gauche et à droite en s'avançant. Les décorations semblaient très austères et sans convivialité, les murs soutenus par des poutres étaient nus et froids, tout comme le plafond fait de plâtre et de bois. Seuls des tableaux avec des photos du mari avaient été posés un peu partout, tandis qu'à côté d'une commode poussiéreuse trônait une vieille horloge.
​     — C'est… plutôt particulier comme décoration, dit Charlotte d'une voix plus portante afin d'être cette fois-ci entendue par le couple. Vous comptez laisser les murs ainsi ?
​     — Ah oui, c'est moi qui ai décoré notre foyer, opina le mari dans un grand sourire. Je suis tout de suite tombé sous le charme de cette maison en l'achetant, je trouve les vieilles maisons de campagne absolument magnifiques avec leurs murs en pierre et leurs impressionnantes poutres en bois de chêne.
​     — Je comprends que vivre à la campagne puisse avoir ses avantages, admit Charlotte, avant d'entrer dans un salon qui lui paraissait tout aussi triste que la pièce précédente. Là aussi, les murs étaient nus, une cheminée en brique trônait au fond de la pièce et une peau de bête décorait le sol.
​     Le mobilier quant à lui était tout aussi simple, des planches et des parpaings servaient de bibliothèque de fortune à de nombreux livres, tandis que des sièges recouverts de tissus gris et beige trônaient devant la vieille cheminée. Une vitrine placée près de l'entrée intrigua également Charlotte à cause de son contenu : il s'agissait d'un petit musée érigé en la gloire de monsieur Tesson avec ses souvenirs de voyages, ainsi que ses passions. En revanche, rien dans la salle ne laissait supposer que sa femme ou ses enfants y résidaient. Ils n'apparaissaient même pas sur une photo.
​     Après avoir entendu un énième discours du père à propos d'un voyage qu'il aurait fait dans les vals de Santonene, la jeune fille refit le tour des lieux pour observer en détail les meubles et les nombreux objets de la pièce. Elle jeta un coup d’œil à une grande armoire qui contenait des albums photo et des documents, puis inspecta une chaîne hi-fi posée près de minuscules fenêtres qui comme le reste de la maison, manquaient cruellement de luminosité et n'éclairaient presque pas la pièce.
​     — Cela ne vous dérange pas si je sors mon matériel de travail ? demanda poliment Charlotte à la mère qui acquiesça silencieusement dans un sourire. J'aimerais tester quelques outils, même si je ne suis pas spécialisé en spectres… histoire de voir si les lieux sont chargés en énergie.
​     La jeune fille déposa son sac à dos à ses pieds, et en sortit une paire de gants ornés de pierres de protection noires. Elles avaient un petit côté steampunk que Charlotte appréciait beaucoup, et Abigail avait soigneusement choisi des labradorites pour repousser les énergies négatives. Elle récupéra ensuite une épaisse veste en cuir doublée avec une broderie du corbeau d'Ankrow dans le dos, ainsi qu'une oreillette qui devait être en mesure de capter des ultrasons. Puis, elle laissa à sa place un casque qui comme la veste, aurait dû la protéger des chocs si jamais une table se mettait à voler toute seule lors d'une mission.
​     — Vous savez, s’enquit le père qui ne se gênait pas pour tenir la jambe de Charlotte pendant qu'elle enfilait son équipement. Le miel, le vin et l'hydromel qu'on prépare avec nos vignobles sont très appréciés dans les terres celtes, ainsi que nos terres du Sud jusqu'à Romulus.
Tout en ouvrant un nouveau compartiment dans ses affaires pour y sortir un curieux boîtier, Charlotte fit mine de s'y intéresser, et refusa sa proposition de goûter à leurs breuvages avant de faire un tour dans la cuisine, la salle de bain, ainsi que les différentes chambres de la maison. Mais elle ne trouva pas d'objet en particulier qui semblerait être hanté ou maudit, ce qui la décevait un peu, car elle ignorait encore comment elle pourrait rassurer cette famille à propos de ce curieux mal qui les frappait depuis cinq ans.
Le boîtier qu'elle avait récupéré quant à lui, se trouvait être un appareil de détection de champs électromagnétiques, électriques et d'ondes paranormales, et ne semblait pas très réceptif aux timides énergies qui se dégageaient en ces lieux.
​     — Pour le moment je n'ai rien vu de particulier, leur avoua Charlotte d'une voix un peu gênée. Même mon Ankrowmètre ne ressent aucune énergie. Mais j'aimerais jeter un œil à votre dépendance.
​     — Oui, on vous y emmène immédiatement, acquiesça le père.
​     — D'après votre ressenti, qu'est-ce qui provoquerait vos maladies ? interrogea Charlotte en suivant le couple vers la sortie afin de pouvoir atteindre l'extérieur, rangeant son appareil dans une des poches de son jean troué. Il y aurait un objet en particulier qui vous ferait sentir mal ? Ou vous pensez juste à un mauvais esprit qui tourmente votre maison ?
​     — Si le problème vient d'un objet de la famille, ce n'est certainement pas dans mes affaires ! assura le père d'une voix condescendante et hautaine. Regardez plutôt du côté de ma femme, elle a toujours le goût pour acheter des objets bons à être stockés dans le garage. Le problème vient certainement de son côté.
​     — C'est toujours plus facile de rejeter la faute sur les autres, fit remarquer Charlotte d'un ton agacé.
Elle commençait doucement à comprendre pourquoi les femmes de cette maison tombaient malades. La toxicité du père de famille en était probablement la raison.
​     — Vous avez tout mis dans le garage ? poursuivit-elle.
L'homme haussa les épaules pour lui répondre d'une voix détachée, comme si sa question était stupide.
​     — Bien sûr, c'est par ici.
​     ​Charlotte laissa l'homme prendre de la distance pour faire part de ses inquiétudes à la mère de famille, lui expliquant que sa situation lui paraissait préoccupante. Seulement, madame Tesson resta dans le déni, trop aveuglée par les sentiments qu'elle éprouvait pour son mari. 
​     Abigail grimaça en observant l'objet incongru en fer forgé que sa recrue lui présentait une fois revenue de son expédition.
​     — Vous avez rapporté… une chaise de jardin ?
​     — Oui, il en avait l'air un peu trop fier pour que je la lui laisse, assura Charlotte en hochant la tête dans une pointe de sournoiserie, le coude posé sur le dossier de son trophée. Il m'a parlé de l'histoire de cette chaise pendant au moins vingt minutes, son obsession pour elle cachait forcément quelque chose de surnaturel !
​     — Je vois…, grimaça Abigail en récupérant l'objet du bout des doigts comme s'il s'agissait d'un sac poubelle. J'imagine que vous ferez mieux la prochaine fois.
​     — Elle ne convient pas ? demanda Charlotte en perdant son air amusé.
​     — On trouvera bien une façon de la détourner.
​     — Comme le miroir que vous aviez décoré l'autre jour ? glapit Charlotte en jetant un regard en coin au meuble décoré de bras peints en or sortant du cadran, les mains grandes ouvertes et un aspect macabre.
​     — J'ai dit qu'on la détournerait, mais j'ai jamais dit que ça se vendrait, admit la patronne avec évidence. De plus, une chaise sera encore plus difficile à customiser. Personne n'ira acheter une chaise sur laquelle on ne peut pas s’asseoir si des bras ou des doigts en dépassent. Ou alors ce type de clients se serait trompé de magasin en entrant ici.
​     — Je ferai plus attention la prochaine fois, miss Daisy-Bella. Je choisirai un objet plus facile à détourner, et à écouler.
​     — Je pense surtout que vous manquez encore cruellement d'expérience, déclara la patronne en levant son nez en l'air. Vous êtes une novice. Je doute qu'une chaise soit responsable des maladies qui ont frappé la famille Tesson. Vous n'avez tout simplement pas encore développé votre instinct d'Ankrowlecteur, et je parie qu'ils reviendront d'ici quelques semaines pour vous demander de retourner inspecter leur maison. Il est évident que ce que vous deviez aller chercher est resté là-bas.
​     — La raison de leur mal était des plus évidentes. C'est le père le problème, mais je doute qu'il puisse rester sagement assis derrière une vitrine le temps qu'on puisse le revendre !
     Abigail secoua négativement la tête, elle était certaine que son Ankrowlecteur pouvait mieux faire. Charlotte se sentit alors découragée de ne pas avoir réussi sa mission correctement, et d'avoir déçu sa patronne qui s'attendait à la voir ramener un objet un peu plus atypique qu'une vulgaire chaise de jardin.
     — J'ai plus qu'à repartir en chasse et trouver une autre curiosité pour Ankrow, grommela-t-elle.
Chercher du côté des maisons hantées ne lui réussissait visiblement pas.
Chapitre 4
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Histoire protégée sous copyright.
Remerciement spécial à Pathea et Lord-Skorg pour leur aide sur les corrections.
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