Chapitre 2
Le mystère du 3, rue Alexandre
Le matin fut difficile pour Charlotte lorsqu'elle se réveilla après une courte nuit de sommeil, et retrouva Abigail dans la boutique au rez-de-chaussée qui avait gardé son humeur guillerette habituelle. En passant la porte de velours, la jeune fille redécouvrit une pièce lumineuse où les pâles rayons du soleil venaient directement taper sur les vitrines, et où de nombreux objets bizarres avaient été entassés sur des étagères et des tabourets. L'heure d'ouverture du cabinet approchait, et les deux femmes avaient tout juste le temps de boire une boisson chaude et faire de dernières préparations dans les rayons avant de recevoir leurs clients.
— Bonjour, bâilla Charlotte, les yeux encore embrumés par le sommeil. J'espère ne pas arriver trop en retard. Le réveil pique un peu.
— Aucun problème, lança Abigail en lui tendant une tasse qui dégageait un léger parfum chocolaté. Vous êtes pile à l'heure ! Pas trop nerveuse pour votre premier jour, miss ?
— Plutôt impatiente, rectifia Charlotte dans un sourire en récupérant son breuvage.
— Vous allez m'aider en boutique ce matin, le temps de faire la réouverture d'Ankrow. Vous serez chargée en premier lieu d’accueillir nos clients et de les renseigner sur nos ventes, ainsi que sur nos articles. Ensuite, vous deviendrez officiellement mon Ankrowlecteur dès cet après-midi !
— Votre quoi ? s'enquit Charlotte en plissant des yeux d'un air interloqué.
— C'est un collecteur d'objets hantés pour Ankrow, un Ankrowlecteur ! affirma Abigail avec évidence tout en levant ses mains comme si elle s’apprêtait à faire un spectacle d'ombres chinoises.
— J'en apprends tous les jours.
— J'ai d'ailleurs une première mission pour vous, Charlotte. Vous pourrez y aller après déjeuner. Je vous fournirai votre équipement ainsi qu'un uniforme à porter durant votre expédition.
— Une mission dès mon premier jour ?
— Vous trouverez des petites maisons en bord de mer dans la rue Alexandre, tout au sud de la ville. Les voisins m'ont expliqué que l'une d'elles n'avait pas été habitée depuis longtemps à cause d'un meurtre sordide, et que son état commençait à se délabrer. Ils sont venus à ma rencontre hier soir peu après notre arrivée, ils pensent qu'un objet maudit se trouve encore à l'intérieur du pavillon numéro trois. Ils m'auraient rapporté des activités inexpliquées, comme des grattements dans les murs, ou des voix.
Charlotte prit un air triste et embarrassé, et secoua négativement la tête.
— Je suis désolée, vous devez faire erreur. Ma famille vit dans cette maison depuis des années.
— Vraiment ? s'étonna Abigail d'un air confus, remarquant la pâleur inhabituelle que prenait Charlotte qui semblait sur le point de faire un malaise. Êtes-vous sûre que nous parlons bien de la même maison, la numéro trois ? Elle est à l'abandon depuis l'affaire Sideras, qui n'a d'ailleurs plus refait parler d'elle depuis cette époque.
— Ils ne sortent pas vraiment en fait, c'est pour cela que la maison a l'air inhabitée, et que je n'osais pas les déranger comme je vous l'avais expliqué hier. Mais il y a bien une présence à l'intérieur.
— Dans ce cas, vous devriez en profiter pour aller rendre visite à votre famille, proposa Abigail d'une voix plus douce. Cela doit faire très longtemps que vous ne les avez pas vus si vous viviez à Pompeii, et vous devez certainement leur manquer.
La jeune fille voulut lui répondre quelque chose, mais finalement se ravisa en se contentant d’émettre une moue un peu gênée et désolée. L'heure d'ouverture sonna très vite ensuite, et les premiers clients montrèrent leur nez juste quand la boutique fut ouverte. Une fois Charlotte installée devant la porte d'entrée pour accueillir leurs visiteurs, Abigail s'affaira à apporter un miroir sur pieds bordé de dorures, et le poussa jusqu'à la devanture de la boutique pour bien le mettre en valeur.
— J'aimerais pouvoir le vendre aujourd'hui, dit Abigail en lui trouvant une bonne place juste dans l'allée. Il prend beaucoup trop de place.
— Il m'a l'air d'un miroir tout à fait banal, intervint Charlotte depuis sa place. Comment comptez-vous le vendre ?
— Je pensais y coller les petites figurines en bois qui traînent dans la remise, elles sont très laides, cela le rendrait assez loufoque. Je pourrais en démembrer quelques-unes, notamment au niveau de leurs troncs pour leur donner l'impression de sortir du cadran, et en coller aussi sur les côtés.
— C'est une idée, admit Charlotte en observant sa patronne filer vers l'arrière-boutique, un regard malsain en coin.
Elle se tourna ensuite vers le miroir pour s'observer elle-même, et émit une légère grimace en croisant la prunelle glacée de ses yeux, car elle n'arrivait pas à analyser son propre visage dans le reflet. Sa bouche, ses yeux et sa peau étaient comme un puzzle qu'elle ne pouvait déchiffrer et rendaient sa mine floue, voire difforme. Ses yeux reflétaient le néant, son nez semblait sortir de nulle part et les grains de sa peau n'étaient qu'un vaste océan de sable sans fin. Elle aurait pu penser que le problème venait du miroir et qu'il aurait été maudit, mais malheureusement, le problème venait d'elle. Car depuis l'enfance, Charlotte ne pouvait s'identifier dans aucun miroir, tel un vampire sans reflet.
— Mais, qui suis-je ?